Pourquoi le Front National est à la botte du système, en trois leçons

Le parti de Marine Le Pen se présente comme le grand défenseur du peuple français. Face au marasme économique de notre pays, à l’évolution géopolitique internationale, le Front National apparaît progressivement comme le meilleur représentant des intérêts de la France, de ses travailleurs. Rien n’est plus faux, et c’est ce que nous allons démontrer en trois points. Le FN est un parti à la botte du système, qui n’existe que pour maintenir l’œuvre de pillage organisée contre le peuple. La plus grande imposture politique de notre temps doit être révélée.


Par Benoit Delrue.
5 100 mots environ. Temps de lecture estimé : 25 minutes.
 L'horloge du Bilan


« Je suis la candidate antisystème » assenait Marine Le Pen en avril 2012, à la veille du premier tour du scrutin présidentiel. La formule fonctionne : plus de 6,4 millions d’électeurs glisseront son bulletin dans l’urne. Au vote national suivant, l’élection européenne de mai 2014, le succès se confirme. Alors que la participation dépasse à peine les 42%, son électorat est plus mobilisé que jamais, permettant au parti de Le Pen de devancer l’UMP de quatre points, et le PS de onze points. Le Front National apparaît alors comme le premier parti de France.

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Le FN enchaîne les succès en se posant comme premier défenseur des travailleurs français, contre un monde qui les appauvrit et les met en danger. La posture pseudo-révolutionnaire du parti d’extrême-droite est, sans doute aucun, la clé de sa réussite. La famille Le Pen vit dans un manoir et Marine participe, tout sourire, au Time 100 gala (la petite fête organisée en l’honneur des cents personnalités les plus influentes de la planète) ? Qu’importe, l’argument « antisystème » est toujours ventilé avec succès. Il est vrai que le mettre en échec nécessite plus que des invectives sur les personnes ou des injures de cour d’école. Voici donc trois arguments imparables qui, mis ensemble, démontrent indéniablement que le Front National est à la botte du système.

   1.    Les médias l’adorent

Si le FN est aussi connu, c’est grâce aux médias de masse qui ont diffusé, tantôt en la critiquant, tantôt telle quelle, sa propagande politique. Le parti d’extrême-droite n’est pas entré dans les chaumières françaises par l’action militante, par le porte-à-porte, par ses propres moyens ; il y est entré par la télévision. Le FN occupe depuis trente ans les ondes du petit écran, de la radio, les pages des journaux et les sites d’information sur le web.

Les « dérapages » du « menhir »

Fondé en 1972, le Front National restera à l’état de groupuscule dans les années qui suivent sa création. Quasiment inconnu au-delà de Paris, le parti ne revendique de 270 adhérents en 1980. Il est centré uniquement autour de la figure de Jean-Marie Le Pen, qui a « fait » les guerres d’Indochine et d’Algérie. Dès les années 1970, le chef du FN alors affublé d’un cache-œil est remarqué par les médias. Candidat à l’élection présidentielle de 1974, il dispose de dix minutes sans interruption pour dérouler son programme, basé sur la nostalgie de l’empire colonial français. En 1976, alors qu’il hérite de la fortune du cimentier Lambert, Le Pen fait les gros titres des journaux télévisés. A partir de 1981, reportages sur le FN et interviews de son chef sont diffusés de plus en plus régulièrement par les chaînes, les stations de radio et les journaux. A force d’être relayé par les médias, le message du Front National devient connu : « trois millions de chômeurs, c’est trois millions d’immigrés (de trop) ». Dès lors, le parti va de succès en succès : 11% aux européennes de 1984, puis 35 députés à l’Assemblée en 1986 à la faveur du scrutin proportionnel voulu par Mitterrand.

Déjà, le FN intrigue les médias en tant qu’objet unique, seul parti qui honore la mémoire des colonies françaises et qui critique aussi explicitement la présence d’immigrés sur le sol hexagonal. Le Pen l’a bien compris, et poussera l’intérêt médiatique à son avantage en multipliant les déclarations des plus polémiques. En mai 1987, il déclare sur Antenne 2 que « le sidaïque est contagieux par sa transpiration (…), c’est une espèce de lépreux, si vous voulez » ; en septembre, il lance à propos des chambres à gaz des camps de concentration nazis qu’il s’agit d’ « un point de détail de l’histoire de la Deuxième guerre mondiale », lors de l’émission Le grand jury sur RTL avec Le Monde. Un an plus tard, jouant avec le nom du ministre de la Fonction publique, il décoche son « Durafour crématoire ». En 1996, toujours devant les caméras, il dit croire « à l’inégalité des races, c’est évident, toute l’Histoire le démontre ». En 2005, il dit  de l’occupation allemande entre 1940 et 44 qu’elle n’était « pas particulièrement inhumaine » ; en 2012, il insiste sur la présence « urticante et odorante » des Roms en France. Enfin, à quelques jours du scrutin européen de 2014, Jean-Marie Le Pen invoque « monseigneur Ebola », maladie qui fait des ravages en Afrique de l’Ouest, pour « régler en trois mois » le risque de « submersion de la France par l’immigration ».

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Les sorties de Le Pen sont d’une injure sans nom pour ceux qui les subissent – et provoquent, toujours, une condamnation devant le tribunal. Mais elles se propagent à vitesse grand V, pour une raison simple : les médias en raffolent. Chaque fois que le vieux chef du FN émet une nouvelle horreur, chaînes de télé et stations de radio ne trouvent rien de mieux à faire que de la passer en boucle – pour « informer les Français » nous diront-elles. Le parti d’extrême-droite, notamment son patriarche, font l’objet d’une fascination sans limite de la part des éditorialistes qui ont, eux aussi, l’impression de « jouer avec le feu » en donnant la parole au FN. Chacun y va de son petit commentaire pour se distancer des propos, tout en ne pouvant s’empêcher de lui offrir une meilleure audience. La figure d’extrême-droite fait peur, mais elle amuse. A force de l’entendre, elle devient familière. Les principaux titres du pays rebaptisent affectueusement Jean-Marie du surnom « le menhir ».

Le 2 avril 2015, le père Le Pen réitère sa formule devant Jean-Jacques Bourdin, sur RMC et BFMTV : les chambres à gaz sont « un détail ». « Je n’ai jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître. L’on a été très sévère avec lui à la Libération » pousse-t-il encore dans les colonnes de Rivarol, hebdomadaire d’extrême-droite. Marine prend ses distances avec son père, et les médias se passionnent pour le feuilleton. Jean-Marie Le Pen est invité des dizaines de fois en quelques semaines pour mieux « préciser sa pensée ». Le comble ultime de l’hypocrisie médiatique vient de la façon dont les éditorialistes qualifient les sorties de Le Pen. En écrivant qu’il s’agit là de « dérapages », journaux et autres titres nient la cohérence idéologique du Front National, sa constance dans la dénonciation de l’immigration et sa complicité avec l’œuvre de Vichy. Limiter à de simples « dérapages » les sorties polémiques régulières du vieux chef du FN, c’est déjà apposer sur le parti d’extrême-droite un vernis de respectabilité : le Front National devient incompatible avec les horreurs proférées par Le Pen, il ne peut du moins pas y être associé et résumé par elles.

Le soutien sans faille à la « dédiabolisation »

L’accession de Marine Le Pen à la présidence du Front National en janvier 2011, lors du « congrès de Tours », a gravé dans le marbre le revirement total dans l’attitude des médias vis-à-vis du Front National. Jusqu’à présent, si les journaux, chaînes de télé et stations de radio offraient de larges tribunes aux représentants du parti et diffusaient régulièrement des reportages le concernant, ils maintenaient une certaine distance. Le FN était considéré comme un parti « pas comme les autres », ses prises de position faisant l’objet d’une attention particulière dans les critiques qui lui étaient portées. Les journalistes guidant les entretiens n’hésitaient pas, pour la plupart, à mettre Jean-Marie Le Pen et ses camarades face à leurs contradictions, par le rappel des faits. La connivence, voire la complicité que l’on observe entre les journalistes et les dirigeants politiques, n’étaient pas de mise lorsqu’il s’agissait du parti d’extrême-droite. Tout ceci a changé.

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La fille du « menhir » ne cache pas son ambition : l’Elysée. Marine Le Pen veut accéder au pouvoir, et elle est prête à tout pour y parvenir. En prenant la présidence du Front National, elle a amorcé une opération de « dédiabolisation » pour donner à son parti l’image d’une force à même de gouverner. Pour ce faire, elle a d’abord brouillé les pistes en effaçant toujours davantage son appartenance à l’extrême-droite. Le Pen a nommé numéro deux du parti Florian Philippot, un jeune énarque qui répète à longueurs d’interviews qu’il soutenait Jean-Pierre Chevènement en 2002. Elle a emprunté à la gauche radicale plusieurs de ses propositions, dont l’emblématique hausse des petits salaires, de l’ordre « de 200 euros » pour tous les salaires « jusqu’à 1,4 fois le SMIC ». Reprendre à son compte des revendications et mots d’ordre à la gauche radicale n’est pas chose nouvelle pour le FN : son nom même, défini en 1972, a été emprunté au « Front National » créé par le Parti communiste sous l’Occupation hitlérienne, pour organiser la résistance armée et civile. Mais depuis 2011, le phénomène prend un tour nouveau, à mesure que « les banquiers » sont ciblés comme adversaires.

Dans d’autres registres, le FN veut montrer qu’il a changé. Marine Le Pen, à contre-courant de ce que faisait son père, entend séduire l’électorat juif – et montrer, par la même, que le FN a rompu avec toutes tractes d’« antisémitisme ». En juin 2014, la présidente allait même jusqu’à dire que son parti est « le meilleur bouclier pour protéger les Français juifs » « face au seul vrai ennemi, le fondamentalisme islamique ». Dans le même ordre d’idées, le lien vis-à-vis des homosexuels a été transformé. Dénoncés par le patriarche comme contraires à la nature, ils sont désormais acceptés et même mis en avant aux plus hautes responsabilités.

Dans les efforts employés pour améliorer son image, le Front National a trouvé des alliés de poids : les médias. Depuis que « Marine » représente le parti d’extrême-droite, elle est invitée sur tous les plateaux télé avec, privilège dont ne jouissait pas son père, le ton feutré réservé aux « grandes personnalités politiques ». Non seulement la qualité des entretiens réalisés par les chaînes, les radios, les journaux a changé radicalement, reproduisant avec le FN les mêmes liens de complicité qui animent les titres médiatiques envers les représentants des partis gouvernementaux. Mais la quantité de la couverture médiatique en faveur du FN a littéralement explosé. Le classement des invités des matinales, réalisé chaque mois par Le Lab d’Europe 1, fait toujours la part belle au Front National. Mois après mois, jour après jour, Marine Le Pen et Florian Philippot sont les « plus gros squatteurs de matinales » selon l’expression enjouée et amusée du Lab.

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Ce qui est vrai pour les matinales l’est tout autant pour les autres créneaux horaires : les réactions à chaud, les reportages « de fond », les interviews-fleuves, toutes les productions médiatiques font la part belle au FN. Le Monde, journal des élites par excellence, consacre un éditorial pour « combattre » le parti d’extrême-droite ; le lendemain, sa présidente se voit offerte une tribune d’une pleine page par le quotidien. Là aussi, malgré le vernis que Marine Le Pen s’emploie à appliquer sur son image et celle de son parti, c’est la fascination qui commande. Les éditorialistes fantasment sur ce que signifierait l’arrivée du FN au pouvoir. Cet intérêt sans borne est transmis aux lecteurs, aux auditeurs, aux spectateurs qui finissent par revoir leur aversion pour le parti des Le Pen. A mesure que la morosité économique gangrène la France, le public finit par céder à la petite musique de séduction jouée par les grands médias, et se tourne toujours un peu plus vers le parti d’extrême-droite.

   2.    Son programme est déjà appliqué

Le Front National le promet : avec lui, tout va changer ! Son électorat y croit dur comme fer, et continue de se mobiliser scrutin après scrutin pour faire de cet espoir une réalité. Débarrassée de la corruption, de l’immigration, de l’assistanat, de l’islamisme, la France s’en retrouverait grandie et pourrait à nouveau goûter au bonheur. L’étude rigoureuse des faits réduit à néant cette vue de l’esprit, en révélant un phénomène qu’aucun grand média précité n’aborde : les gouvernements récupèrent à leur compte, et appliquent, le programme du FN depuis dix ans.

Un programme unique, le chauvinisme

Penchons-nous d’abord sur le programme du Front National. Il peut être résumé à une conviction, une ligne intellectuelle : le chauvinisme. Pierre angulaire de ses propositions en tous domaines, l’exaltation de la nation française est au cœur de l’idéologie frontiste. Selon cette dernière, il faut redonner à notre nation toute sa grandeur en condamnant fermement, et définitivement, ceux qui trahissent et ceux qui salissent la France. Les politiciens qui ont abandonné l’empire colonial en cédant l’indépendance aux Vietnamiens et aux Algériens, d’abord ; les syndicalistes qui « bloquent l’économie » par leurs grèves, leurs négociations salariales, leur sabotage de la production nationale, ensuite ; les immigrés, qui viennent voler les richesses de la France au nez et à la moustache du Français de souche, enfin.

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La France peut s’en sortir seule, parce que la France est supérieure – moralement et économiquement. Fort de cette conviction, le Front National combat l’Europe, moins pour les visées profondes des institutions supranationales que pour la dépossession de la souveraineté hexagonale. Il n’en appelle tout de même pas à la sortie de l’Union européenne, cette dernière représentant parfaitement la « civilisation judéo-chrétienne » de l’homme blanc face aux sous-civilisations asiatiques et africaines. Sur l’euro, Marine Le Pen ne promet même plus d’en sortir tout à fait, mais d’en faire une monnaie commune en lieu et place d’une monnaie unique. En clair, elle acceptera de participer au jeu des négociations entre les Etats-membres, mais promet de le faire pour défendre l’intérêt de la France.

Face aux hordes immigrées et au péril islamiste, quelque peu exagérés dans la propagande frontiste, le FN promet la sécurité. Il expulsera tous ceux qui ne se soumettraient pas aux lois françaises – celles existantes comme celles à venir, évidemment – et réduira drastiquement le droit d’asile. Les conditions pour obtenir la nationalité seront mieux verrouillées, tandis que le droit du sol sera remplacé par le droit du sang. Le halal ne sera plus toléré dans les cantines – peu importe s’il en est déjà absent – et les « prières de rue » seront interdites. Le Front National et sa présidente n’ont pas de mots assez durs pour qualifier l’islamisme, que la quasi-totalité de leurs électeurs confondent éhontément avec l’islam. Cet axe de campagne, qui permet en creux de défendre le Français blanc chrétien, est de loin le plus mis en avant dans tous les tracts et toutes les déclarations du FN.

 Pour mieux appliquer la loi, Marine Le Pen promet de renforcer tous les services de police et de faire appliquer une justice intransigeante avec « les délinquants ». Les agents des forces de l’ordre seront armés et mèneront une lutte implacable contre « la racaille des banlieues ». Dans tous les domaines, la « préférence nationale » sera mise en place, pour la recherche d’un logement, pour la signature d’un contrat de travail, ou pour l’obtention des prestations sociales – au cas malheureux où les caisses seraient trop vides pour payer tous les bénéficiaires.

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De manière générale, le programme du Front National est très simple, voire simpliste. Même s’il s’est étoffé depuis quelques années, en particulier pour l’échéance de 2012, il reste une somme de propositions limitées, où les réformes économiques et sociales sont peu nombreuses et peu explicites. Le chauvinisme, la défense de la nation française, l’application de la préférence nationale suffisent au FN pour constituer un programme politique pour le pays, et à son électorat pour adhérer aux thèses défendues. Mais il est un fait que l’électorat frontiste ignore : c’est que le fossé entre les propositions du parti d’extrême-droite et l’action concrète des gouvernements successifs s’est réduit considérablement depuis les années 2000.

Récupérations gouvernementales

A mesure que le Front National impose les thèmes et les angles du débat national, propulsé par des médias davantage en connivence, les gouvernements successifs y prêtent une attention toujours plus grande. Depuis une dizaine d’année, les exécutifs ont repris, ni plus ni moins, l’idéologie frontiste – dans une forme édulcorée – dans l’élaboration de réformes et leurs discours aux Français.

Si Sarkozy et ses amis proches sont sans doute les champions en la matière, ils ne sont pas les seuls à concourir. Avant eux, Jacques Chirac avait fait adopter la loi interdisant le port de signes religieux à l’école publique, l’occasion de focaliser pour la première fois l’action politique sur la question musulmane. Moins de trois ans après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, la manœuvre se veut intelligente. Les fidèles à l’islam sont sous le feu des projecteurs, accusés d’obliger leurs filles et leurs sœurs de se couvrir les cheveux pour sortir dans l’espace public. Le débat se polarise, tandis que les musulmans voient leur foi de moins en moins tolérée. Leur réaction logique, face à cette injustice, est d’exprimer toujours plus leur fidélité à l’islam en signe de résistance. Le cercle vicieux est entamé, selon le schéma défendu par le FN depuis les années 1980.

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Depuis, les lois et les mesures permettant d’empêcher les musulmans d’exercer leur foi en toute quiétude se sont multipliées, jusqu’à supprimer les repas de substitution dans les cantines scolaires. Dans un autre registre, quoique intimement lié, la « sécurité » a occupé tous les esprits dans le monde occidental post-11 septembre. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur à partir de 2002, promet de « nettoyer au Kärcher » les banlieues de la délinquance. Devenu président de la République, il met un point d’orgue à armer la police municipal sous son mandat, à grands renforts de flash-ball et autres « Taser » – pistolet provoquant une décharge électrique violente. Parallèlement, l’espace public est quadrillé par des caméras de surveillance toujours plus nombreuses et perfectionnées. Le « plan Vigipirate » est maintenu au niveau rouge, puis écarlate, habituant les Français à voir circuler des militaires dans toutes les gares. Toutes les décisions de justice jugées trop « laxistes » font l’objet d’un appel de la part de l’Etat, qui veut bientôt que toutes les sanctions soient « exemplaires ».

Le changement de majorité a certes éloigné l’idéologie au sommet de l’Etat de celle défendue par le Front National, mais seulement en apparence. La politique de « tolérance zéro » à l’égard de la délinquance, tant défendue par Sarkozy, a été poursuivie sans sourciller par Manuel Valls dès son arrivée place Beauvau, puis par son successeur, Bernard Cazeneuve. Les quotas d’immigration légale, définis à un niveau particulièrement bas compte tenu des flux migratoires européens, ont été maintenus sous la pression de l’exécutif socialiste. Les immigrés sans-papiers, même s’ils travaillent ou suivent des études, font l’objet d’une lutte impitoyable et sont expulsés par milliers chaque années – Valls se félicitait même de surpasser la droite en ce domaine. Les stigmatisations se poursuivent avec constance : après le discours de Grenoble de Sarkozy, le Rom reste le meilleur ennemi commun pour souder un peuple français en déshérence. Il « n’a pas vocation à s’intégrer », vocifère Manuel Valls quelques mois avant de devenir Premier ministre, il est donc normal qu’il se fasse « expulser ». Marine Le Pen ne pourrait dire mieux.

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Il reste bien entendu des différences majeures entre ce qui est défendu par le FN et ce qu’accomplissent les gouvernements français depuis dix ans, notamment dans le changement promis par l’extrême-droite sur la monnaie unique. Mais dans l’ensemble, ce qui faisait office de clivages profonds dans le monde politique n’est plus devenu que palette de nuances d’une même couleur. Les forces de l’ordre sont armées, l’immigré est combattu, l’islam est confiné, la justice est intransigeante – quoiqu’en dise Christiane Taubira, dont l’influence dans le gouvernement Valls est réduite à peau de chagrin et qui voit ses réformes enterrées les unes après les autres, comme celle de la justice pour mineurs. François Hollande et son Premier ministre font la part belle au redressement « moral » de la France, notamment par l’école. Même en matière économique, les gouvernements de droite et de gauche ne rechignent pas à défendre le « made in France », à revendiquer la supériorité des initiatives hexagonales, à abaisser lourdement la fiscalité sur les entreprises – autant de points de convergence.  Petit à petit, c’est donc au programme du Front National que nous avons à faire, et nous en voyons les brillants résultats : tensions exacerbées, focalisation sur la question religieuse, ambiance de peur générale. Avec, pour résultat logique, d’augmenter toujours plus la confiance des Français envers Marine Le Pen et son parti.

   3.     Le FN défend férocement l’ordre établi

Nous arrivons au cœur de notre problématique, ce pourquoi le Front National est le pilier et le protecteur du système en place. Ce dernier vacille, mais pour les élites, le FN est un instrument des plus utiles en la période – et, s’il le faut, un recours efficace pour maintenir l’ordre établi.

Ce qui définit le système

La France, telle qu’elle est aujourd’hui, est caractérisée par les structures étatiques. L’organisation de la vie politique, de l’exercice de la justice, des différents services de l’Etat sont déterminants pour notre pays. Mais plus encore, la France est définie par son infrastructure économique. Si le « camp occidental » est une réalité aux yeux de la majeure partie de l’humanité, c’est parce que l’Europe et l’Amérique du Nord sont le berceau du capitalisme. C’est ce qui rapproche la République française d’alliés aussi divers que les monarchies de Grande-Bretagne et d’Espagne, ou les lointains Etats-Unis. C’est également ce qui commande au développement d’une amitié chaleureuse avec les monarchies du Golfe, des théocraties parmi les plus rétrogrades au monde, qui s’inscrivent parfaitement dans le marché financier et commercial planétaire – et peuvent même, parfois, nous acheter quelques fleurons de l’armement français.

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Le régime politique, tout important qu’il est, n’est donc pas (ou plus) le facteur premier de la définition de notre civilisation. Le plus déterminant est le système de production économique. C’est lui qui organise l’ordre établi et conduit à ce que la France compte d’un côté une poignée de milliardaires, maîtres du marché et de la production nationale, et de l’autre près de dix millions de travailleurs privés d’emploi. Comme son nom l’indique, le capitalisme est dominé par le capital, un amas de richesses sous forme financière – des titres de propriété. Le capital confère à ses détenteurs la possession d’un ensemble de moyens de production (des terres, des immeubles, des marques, des machines, des brevets) et un pouvoir de décision économique total. A la tête d’empires commerciaux de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliers de salariés, les grands capitalistes forment socialement la haute bourgeoisie. Cette dernière détient les banques, les entreprises agricoles, de transformation alimentaire, de distribution, d’industrie, d’édition et de médias. Si les capitalistes se livrent à une compétition sans merci pour accroître toujours davantage leurs empires, ils font preuve d’une solidarité sans égale en tant que classe sociale vis-à-vis de la nation. Les véritables maîtres de la France, et vrais responsables du marasme économique, de la tertiarisation forcée (désindustrialisation) et du chômage, ce sont les Arnault, Mulliez, Bettencourt, Lagardère, Bolloré et Bouygues ; beaucoup plus que les partis au pouvoir jusqu’à présent.

Pour exister, la classe capitaliste a besoin d’employer la force de travail pour faire tourner ses entreprises. La grande classe sociale, largement majoritaire dans la population, qui fournit à la nation la force de travail nécessaire à la production, n’est autre que la classe ouvrière. Cette dernière est démunie de tout capital, en tant que moyens de productions – et capacité d’employer – mais son patrimoine s’est largement accru en quelques générations. Parce qu’elle s’est battue, la classe ouvrière vit plus confortablement, et a conquis une transformation avantageuse de l’économie par l’interdiction du travail des enfants, la réduction du temps de travail ou la nationalisation de grandes entreprises. La Sécurité sociale, en tant que mise en commun des risques pour subvenir aux besoins des familles, des malades et des vieux, est également l’œuvre de ses luttes. Bien sûr, il n’existe pas que la grande bourgeoisie et la classe ouvrière. Il existe une petite bourgeoisie, qui détient un capital suffisant pour faire tourner une petite affaire commerciale, artisanale ou libérale ; mais ses unités de productions, par la loi du marché, sont entièrement assujetties aux grands groupes. Ces derniers, comme les services de l’Etat et autres organismes publics, sont administrés par un ensemble de cadres et directeurs qui forment la classe intermédiaire. Celle-ci dirige l’économie, organise la production, mais elle le fait pour le compte exclusif de la grande bourgeoisie propriétaire.

Avec la tertiarisation de l’économie et la division syndicale, la conscience de classe s’est perdue dans le peuple. Pourtant, la classe ouvrière existe : simplement, elle travaille désormais dans les grandes surfaces ou les boutiques, dans les chaînes de restauration ou les centres de télé-appel, dans les administrations ou pointe à Pôle Emploi. Ses intérêts sont clairement antagonistes avec ceux de la bourgeoisie, qui détient le capital. Les travailleurs ont intérêt aux salaires les plus élevés ; les patrons ont intérêt aux salaires les plus bas. Les travailleurs ont intérêt à réduire le temps de travail, pour travailler tous et moins longtemps ; les patrons ont intérêt à augmenter le temps de travail pour en réduire le « coût », quitte à soumettre les salariés à la compétition sauvage en présence d’un chômage ultra-élevé. Tout ceci ne présente aucune considération morale : les individus agissent selon leurs intérêts économiques et il ne peut en être autrement.

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Depuis la Révolution française, qui a vu la bourgeoisie grandissante terrasser la vieille noblesse, le capitalisme s’est imposé et développé comme seul régime économique. Il a certes permis des progrès fulgurants en technique et en productivité, mais il se construit encore et toujours sur la confiscation des richesses par une caste plus puissante et plus réduite. C’est ainsi que l’an dernier, 67 individus détenaient à travers le monde autant de richesses que la moitié de l’humanité ; tandis qu’en France, les sans-domiciles toujours plus nombreux, restent trois fois moins nombreux que les logements vides. « Le système », c’est d’abord et avant tout le système capitaliste. C’est pourquoi le Front National en est l’un des plus ardents défenseurs.

De la petite bourgeoisie à la grande

La défense de la bourgeoisie, donc du système établi, est au cœur de la démarche politique frontiste, et ceux dès les racines du parti d’extrême-droite. Avant de devenir le président du Front National, Jean-Marie Le Pen a été député à l’Assemblée nationale en 1956, à l’âge de 27 ans, sur les listes présentées par Pierre Poujade. Ce dernier, qui tenait une librairie-papèterie, se faisait le porte-parole de tous les commerçants et petits patrons subissant une « charge fiscale » trop élevée – en somme, tout ce qui compose la petite bourgeoisie.

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Durant toute sa vie politique, Le Pen continuera à défendre les petits patrons visant à « libérer » leurs affaires des « contraintes étatiques », une posture particulièrement compatible avec la ligne chauviniste du Front National, entre nostalgie colonialiste et préférence nationale. Reprenant le flambeau, Marine Le Pen cherche d’abord et avant à représenter cette classe sociale. La « mondialisation » est pointée comme l’ennemie des entrepreneurs français, car synonyme de concurrence déloyale. L’immigration est ciblée comme responsable de l’insécurité, qui ferait perdre aux petits patrons un précieux bénéfice.  La fiscalité, même si les gouvernements n’ont de cesse de l’alléger à destination des entreprises depuis quarante ans, est étiquetée comme injuste et responsable des difficultés rencontrées par les petites entreprises.

Les organisations historiques de la classe ouvrière, la CGT en tête, n’ont jamais suscité la moindre sympathie du Front National – au contraire, la détestation la plus inflexible. Les actions de grèves, les mobilisations dans les entreprises et dans le pays, les mouvements sociaux comme ceux de la jeunesse n’ont jamais été soutenus par le parti d’extrême-droite, qui se veut avant tout « le parti de l’ordre ». Pourtant, tous ces mouvements s’inscrivent dans une lutte de long-terme, celle qui a constitué le mouvement ouvrier aux 19ème et 20ème siècles, et obtenu les congés payés, le Smic élevé et la relative gratuité de l’éducation et des soins. Le Front National n’a toujours vu dans ces avancées des mesures « socialistes » ou « communistes » qui n’ont fait que grever la production nationale.

Le FN défend le marché du travail, les logiques de concurrence totale et la privatisation des grandes entreprises publiques.  Plus encore, il veut lever toutes les « contraintes » pesant sur le patronat, comme les cotisations sociales – qui ne sont rien d’autres que le salaire différé des travailleurs malades et des vieux – et réduire drastiquement la fiscalité des plus riches, donc les recettes de l’Etat, donc les services publics. En ce sens, le Front National défend de toutes ses forces l’ordre établi, qui n’est profitable qu’aux plus riches détenteurs de capitaux.

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En bon apôtre du capitalisme le plus libéral possible sous ses faux accents populaires, le parti d’extrême-droite n’inquiète pas les élites, au contraire. En focalisant l’attention sur des considérations religieuses et ethniques, le FN est un instrument formidable pour diviser la classe ouvrière française, anéantir sa conscience collective et la soumettre davantage aux lois du capital. Utile à la classe dominante bourgeoise, le Front National l’est déjà par son influence grandissante sur le débat national, sur la propagande médiatique et sur l’action politique. Il pourrait l’être plus encore, si d’aventure les partis gouvernementaux traditionnels ne suscitaient plus la confiance des Français. Bien plus efficace qu’un centre affligeant, l’extrême-droite sous un vernis moderniste tel qu’incarnée par le Front National de Marine Le Pen se présenterait à coup sûr comme le meilleur recours. Le FN, soutenu plus franchement encore par les éditorialistes à la solde du pouvoir économique, pourrait ainsi être appelé à gouverner. Les mouvements déjà constatés seraient largement accentués, la nation gagnerait en tensions et l’Etat en violence ; mais dans le fond, rien ne changerait vraiment.

Le Front National est la pire imposture politicienne de notre temps. En se présentant comme parti « antisystème », voire comme le parti des travailleurs français, le FN trompe le peuple en promettant un changement radical qu’il serait bien incapable d’organiser. Conservateurs, réactionnaires et réformistes, le Front National et Marine Le Pen ont désormais toutes les cartes de leur côté pour prendre le pouvoir. Une chose est sûre, la classe dominante, qui plonge chaque jour un peu plus la France vers le désastre économique du chômage et le démantèlement de ses forces productives, n’est pas inquiétée pour un sou par le parti d’extrême-droite. Au contraire, le FN se présente comme un recours habile en cas de désaveu pour les partis traditionnels ou de grande colère populaire. Le Pen et consorts pourraient alors un peu plus diviser le peuple, et maintenir férocement l’ordre établi du système capitaliste, au seul bénéfice des milliardaires de la haute bourgeoisie. Les travailleurs français et leur gagne-pain sont à des années-lumière du FN, dont les dirigeants vivent d’ores et déjà parmi les élites dominantes.

5 réflexions sur « Pourquoi le Front National est à la botte du système, en trois leçons »

    1. tu te trompe !! j’ai lut et rien dit que le fn serais dans l’incapacité de gouverner!!
      nous avons eux la droite et la gauche pendant des décennies!!
      les deux nous entraînes dans un gouffre !!
      faisons un essai avec un parti différent et après tirons les conclusions!!

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      1. un parti différent? en quoi il se différencie du système? au contraire le FN joue un rôle de faux-nez de la contestation, ce qui est trèèès utile à l’oligarchie politico-financière. Comme dirait Christophe Barbier qui est lui même un valet soumis aux « zélites » mondialiste: en neutralisant 25% du peuple en colère , le FN est capable de faire élire n’importe quel couillon de l’UMPS.

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  1. Merci pour cet article de fond. Je pense qu’il mériterait d’être plus approfondi: 1. vous oubliez le rôle de Mitterand comme tremplin du FN. Depuis le FN est utilisé comme épouvantail par les partis politiques. C’est grâce au FN que Chirac a été réélu sur un bilan contestable. De la même façon, grâce au FN sera élu président Sarkozy ou Hollande alors qu’ils sont impopulaires.

    2. Le FN n’est pas prêt de gouverner et les résultats des élections sont sur ce point tres clairs: avec un maximum de 14% des voix exprimées, le FN stagne depuis des années. Sa progression est uniquement due au faible taux de participation.

    3. Le FN permet également d’éviter les questions de fond comme l Europe. Aujourd’hui, être contre la construction européenne est considéré comme du fascisme. C’est tellement pratique quand on n’a plus d’arguments pour défendre un dogme! On se croirait à la fin de l URSS.
    Je recommande vivement le site de l upr (upr.fr), le seul parti politique à expliquer le rôle du FN sans langue de bois 🙂

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  2. Tout à fait d’accord avec Toussaint et je complète en précisant que, en médiatisant le FN, Mitterand a allumé le « contre-feu » de l’antiracisme institutionnel (touche pas à mon pote, etc..) qui a permis de récupérer les votes des français issus de l’immigration, votes qui ont compensés largement la perte de ceux de la classe ouvrière qu’il a lâchement abandonné en adoptant une politique économique très libérale (Reaganienne et Tatchérienne) à partir de 1984, faisant fuir les Ministres communistes !!! CQFD

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