Notre idéologie. Une courte histoire du matérialisme

Ne pas connaître sa propre idéologie est une faiblesse. Reconnaître et assumer son idéologie est une force. Sur LeBilan.fr, notre idéologie est celle du matérialisme historique. Nous analysons le monde non pas selon des idées déjà construites, mais à travers l’étude des faits. A travers ce court résumé de l’Histoire de la philosophie jusqu’à l’invention du matérialisme historique, nous chercherons à faire comprendre l’intérêt de ce dernier.


Par Benoit Delrue.
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L’apparition de la philosophie

L’Histoire des idées est la résultante de l’Histoire des faits, de la production collective. Parce qu’il s’est élevé au fil des générations, parce qu’il a su s’adapter mieux qu’aucune autre espèce, l’Homme s’est extirpé du règne animal. Il est devenu un être conscient, doué d’une parole constamment enrichie, capable de réfléchir sur le monde qui l’entoure et ainsi de créer des concepts. Ses idées sont d’abord le fruit de son propre vécu. C’est parce qu’il a compris le monde par la transmission primitive de ses premières expériences, que l’Homme est parvenu à maîtriser le feu. Parce qu’il a compris ses intérêts matériels à accroître sa production, il s’est sédentarisé, inventant l’agriculture et l’élevage, puis l’écriture et la comptabilité, enfin l’industrie et la science.

A mesure que sa vie s’enrichissait de techniques mieux travaillées, d’expériences plus diverses et d’échanges plus nombreux, l’être humain a également enrichi sa pensée. Bientôt les premiers philosophes apparurent, cherchant à donner une vision du monde et une signification à la vie. La compréhension en était alors à un niveau rudimentaire. Tous les phénomènes non expliqués étaient attribués à une force supérieure ; les explications se fondent sur l’observation des apparences. Il en est ainsi de la métaphysique qui règne en Grèce antique, première forme répandue d’idéologie idéaliste. Elle se fonde sur la séparation entre l’esprit et la matière, et la supériorité de l’esprit sur la matière. Ses concepts sont figés et toute observation contredisant fortement les concepts préétablis ne peuvent être pris en compte. Elle permet néanmoins de réfléchir, de disserter – en particulier sur la « cause supérieure », phénomène abstrait par lequel l’Homme serait né et aurait obtenu ses connaissances. Parmi ses adeptes se trouvent Socrate et Aristote. Ils ont pour contemporains les premiers philosophes à développer une idéologie matérialiste. Ainsi Démocrite est le premier à concevoir l’atomisme, le fait que l’Homme est composé de matière. Épicure considère que la sensation est à l’origine de toute connaissance, à contre-courant des considérations métaphysiques.

Inventions et révolution hégelienne

La métaphysique continua de régner sans partage durant des millénaires, confortée par les Églises. Ce n’est qu’à l’époque dite de la Renaissance que s’amorça un changement, quand la production scientifique décolla progressivement. Au 15ème siècle de Vinci réhabilite ou invente de nombreuses disciplines scientifiques, Copernic développe au 16ème la théorie héliocentrique selon laquelle la Terre tourne autour du soleil, et Newton formule au 17ème la loi de la gravitation universelle. Le 18ème siècle est celui des « Lumières » durant lequel sont inventés le microscope, la lunette astronomique et la machine à vapeur ; l’électricité est enfin théorisée puis maîtrisée, tandis que Lavoisier pose les bases de la physique moderne (« rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »). Ces découvertes fondamentales vont à la fois discréditer les vieux concepts métaphysiques, permettre un développement des forces productives sans précédent, et une réflexion plus poussée sur le monde. Néanmoins le matérialisme, qui par nature rentre en contradiction avec une religion encore toute puissante, est chose rare en philosophie. Ainsi Diderot sera emprisonné pour ses positions matérialistes. Il faudra attendre le siècle suivant et l’avènement du capitalisme pour que le matérialisme devienne un vrai courant philosophique.

hegelHegel a révolutionné la pensée philosophique avec sa dialectique.
En bannière : Marx est à l’origine du matérialisme historique.

D’autres ont néanmoins fait avancer la connaissance du monde sans s’inscrire pour autant dans la philosophie matérialiste. Hegel, entre le 18ème et le 19ème siècles, développe sa science de la logique et en particulier, la dialectique. Cette dernière révolutionne les concepts existants. Elle pose pour principe que chaque élément est une part de l’ensemble, chaque être et chaque chose font ainsi partie indissociablement de l’univers. Plus encore, elle pose que chaque élément influe sur tous les autres à des degrés divers. Chaque élément est donc le produit de tous les autres, et tous les autres en sont (en partie) le produit. Par ricochets, un événement a ainsi des répercussions sur tout ce qui l’entoure en premier lieu, puis sur le monde entier. La dialectique hégelienne a le mérite formidable de donner enfin une réponse à la contradiction, contre laquelle se sont cassés les dents des générations entières de philosophes incapables de lui donner un sens. Chaque élément est par nature porteur de contradictions justement parce qu’il est le produit d’influences diverses et inégales. Il en est ainsi de chaque chose et de chaque être, combinaison complexe et constamment enrichie de tout ce qui l’entoure. Néanmoins Hégel est farouchement idéaliste, et pose comme principe figé l’existence de Dieu. Pour lui, le mouvement dialectique est donc celui qui a produit le monde à partir de la pensée humaine.

Hegel remis sur ses pieds

Au 19ème siècle se produira une seconde révolution philosophique avec Karl Marx. C’est le premier à combiner à la fois la pensée matérialiste, selon laquelle l’Homme est le produit de son existence physique, et le mouvement dialectique. Marx dira que la dialectique hégelienne, toute formidable qu’elle est, « marche sur la tête » ; et qu’en la retournant, il l’a « remis sur ses pieds ». Chez Marx, ce n’est pas la pensée abstraite qui produit le monde, c’est l’existence matérielle qui produit la pensée humaine. L’existence physique de chaque élément influe sur l’Homme, sa conscience et sa pensée. La matière est en mouvement constant, comme nous l’ont appris les grandes découvertes des Lumières, et ses influences évoluent constamment aussi. Tous les éléments changent à des rythmes divers, dans des mouvements divers, et continuent de s’influencer les uns les autres à des degrés divers. Il ne peut exister de réponse absolue ni de vision absolue du monde, car le monde évolue et il en est de même de l’Homme. La vision juste du monde ne peut donc que résulter d’une étude relative à un espace et un temps donnés, appropriée à une problématique spécifique. En ce sens, il existe une vérité matérielle intangible, mais l’Homme ne peut que s’en approcher par l’étude approfondie des faits, le croisement des faits, et enfin la confrontation des multiples aspects pour révéler la ou les contradictions fondamentales. Contrairement à l’idéalisme qui produit une pensée figée ou au mieux mécanique, la vision du monde sous le prisme du matérialisme historique est donc profondément complexe et dynamique.

Notre idéologie résumée

Ce paragraphe est en grande partie tiré des deux précédents.

Nous analysons le monde non pas selon des idées déjà construites, mais à travers l’étude des faits. La réalité physique est la base de toute chose. L’existence de tout élément se fonde d’abord sur une réalité physique, parce qu’il est constitué de matière. La matière est en évolution constante, parce qu’elle connaît une multitude de mouvements ; chaque chose est donc en évolution constante. Chaque élément est une part indissociable de l’ensemble. Tout être et toute chose font ainsi partie indissociablement de l’univers.

Chaque élément exerce une influence à plusieurs degrés ; il est le produit de tous les autres, et tous les autres en sont le produit. Par ricochets, un élément, un mouvement, un événement a des répercussions en premier lieu sur tout ce qui l’entoure directement, puis sur tout ce qui l’entoure indirectement. Chaque élément est par nature porteur de contradictions justement parce qu’il est le produit d’influences diverses et inégales. Il en est ainsi de chaque chose et de chaque être, combinaison complexe et constamment enrichie de tout ce qui l’entoure. Tous les éléments changent à des rythmes divers, dans des mouvements divers, et continuent de s’influencer les uns les autres à des degrés divers. Le monde et la pensée humaine s’influencent mutuellement, dans des mouvements où la matière est le préalable à l’idée. Ce n’est donc pas la pensée humaine qui produit le monde, mais l’existence matérielle – l’ensemble du vécu, autant connu que méconnu – qui produit la pensée humaine.

Tout résulte, à la base, de l’existence matérielle dans lequel l’Homme s’inscrit. Pour se développer, l’Homme entretient des rapports de production avec ses semblables et les ressources existantes. L’ensemble de ses forces productives fondent une infrastructure, base fondamentale de la société. La philosophie, la science, les idéologies et la politique sont des superstructures de la société, qui prennent des formes particulières selon l’époque, la société et son organisation sociale. Elles sont donc par nature temporaires.

Il ne peut exister de réponse absolue ni de vision absolue du monde, car le monde évolue et il en est de même de l’Homme. La vision juste du monde ne peut donc que résulter d’une étude relative à un espace et un temps donnés, répondant à une problématique spécifique. En ce sens, il existe une vérité matérielle intangible, mais l’Homme ne peut que s’en approcher par l’étude approfondie des faits, le croisement des faits, et enfin la confrontation des multiples aspects pour révéler la ou les contradictions fondamentales.

Contrairement à l’idéalisme qui produit une pensée figée ou au mieux mécanique, la vision du monde sous le prisme du matérialisme historique est donc profondément complexe et dynamique. Si la métaphysique et ses vieux concepts furent progressivement abandonnée, l’idéalisme a gardé de beaux jours devant lui. Fait de préjugés, de définitions à l’emporte-pièce et d’une méconnaissance profonde de l’Histoire, nous tacherons à travers chacun de nos articles à lever le voile de mensonges simplistes qu’il appose sur le monde.

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